La vie a t-elle un sens?
- michelchicher
- 2 août 2023
- 11 min de lecture

La vie peut paraître absurde
La mort est inévitable
Nous naissons, nous nous agitons en jouant notre rôle pendant quelques dizaines d’année. Puis il est temps de nous effacer, de quitter cette terre et de redevenir poussière. A quoi bon exister puisque la mort détruit tout. Malgré les efforts des transhumanistes, nous ne nous départirons pas de notre misérable condition de mortel. Peut-être parviendrons nous à retarder l’échéance, sans doute atteindrons-nous cent vingt ou cent cinquante ans, plus ou moins en bonne santé. Mais nous ne règlerons jamais le problème de notre finitude et notre espoir d’éternité restera à jamais contrarié. L’homme n’est pas Dieu.
SHAKESPEARE: "La vie n’est qu’une ombre qui passe, un pauvre acteur qui se pavane et s’agite durant son heure sur la scène et qu’ensuite on n’entend plus. C’est une histoire dite par un idiot, pleine de bruit et de fureur et qui ne signifie rien"
La souffrance est omniprésente.
Les guerres se poursuivent alors que nous étions en droit d’attendre que le progrès scientifique entraîne un progrès moral et mène les hommes vers une sagesse accrue. Pire, la survie du monde ne semble plus tenir qu’à un fil. Les armes nucléaires prolifèrent, elles tombent maintenant dans les mains de chefs d’états autocrates ou intégristes que l’on sent capables de basculer dans la pire des folies à tout moment. Nul doute qu’Hitler aurait entraîné le monde dans son naufrage s’il avait disposé de telles armes de destruction massive en 1945. On sent bien que d’autres Hitler en puissance existent déjà, d’autant plus que l’on constate un repli de beaucoup d’états sur eux-mêmes, un réarmement planétaire, une radicalisation des esprits.
De nouveaux risques, et notamment le dérèglement climatique et la raréfaction de l’eau et de l’énergie, menacent des milliards de personnes.
Autrefois les hommes étaient essentiellement victimes de souffrances exogènes (faim, misère, guerre, violence, …). S’ajoutent maintenant des causes endogènes : les désordres psychiques se généralisent, le manque de sens est partout, notamment au travail. Plus l’homme est libre, plus il s’éloigne de l’animalité centrée sur la satisfaction de besoins primaires. Combler des désirs toujours plus nombreux et divers devient une obsession, provoquant jalousie, ressentiment, tourment et souffrance.
La religion ne constitue plus un recours
Pendant de nombreux siècles la religion a constitué la réponse à ce problème de sens lié à notre condition de mortels. Les croyants, très largement majoritaires, étaient convaincus du fait que notre passage sur cette terre ne constitue qu’une étape et que la vraie vie, éternelle celle-là, commence au moment de la mort. Ce concept de vie éternelle n’a d’ailleurs pas été inventé par les Chrétiens. Pour Platon au IVème siècle avant JC, l’âme, enfermée dans notre corps pendant notre vie terrestre, pouvait enfin se libérer au moment de la mort et rejoindre le monde des Idées, un monde intelligible qui constitue la vraie réalité.
Pour les Chrétiens l’accès au paradis terrestre n’était possible qu’après le jugement dernier par le tribunal de Dieu, au cours duquel les bonnes actions et les péchés recensés pendant la vie terrestre étaient pesés.
Il convenait donc d’œuvrer, tout au long de sa vie terrestre, à l’adoration de Dieu. Il s’agissait d’adopter un comportement conforme aux préceptes de la morale divine, de prier, de confesser ses fautes, dans l’espoir que les portes du paradis s’ouvriraient et donneraient accès à la vie éternelle. La souffrance sur terre devait mener à la récompense d’une vie éternelle au paradis. « Les derniers seront les premiers » peut-on ainsi lire dans la bible.
Car la science progresse
Mais la science moderne a rompu cet enchantement du monde. Partout où la science progresse, la religion recule. Les vérités scientifiques se substituent aux croyances divines.
A tel point que Freud parla de triple humiliation pour l’homme.
Copernic et Galilée nous apprirent que la terre, sur laquelle l’homme évolue, n’est pas au centre de l’univers.
Darwin démontra que l’homme n’est pas non plus au centre de la nature. Il est simplement issu d’un long processus d’évolution constitué de hasards et de phénomènes de sélection naturelle. Il est fort humiliant de prendre conscience que l’homo sapiens est apparu il y a 200000 ans et qu’il est lui-même issu d’autres espèces qui ont évolué pendant des millions d’années. Nous n’avons donc pas été directement créés par Dieu.
Et Freud lui-même nous apprit que l’homme n’est même pas « maître en sa propre maison » puisque son comportement est largement dépendant de processus inconscients. L’homme n’est pas exclusivement un être supérieur doué de raison.
« Dieu est mort » disait déjà Nietzsche au XIXème siècle. La vie est le fruit du hasard et non d’un Dieu. Le monde des idées de Platon, le monde supra physique des Chrétiens s’effacent devant la réalité crue des matérialistes : au moment de la mort, notre corps mais aussi notre âme disparaissent bel et bien.
De nos jours, en occident, les églises se vident. En 1961 92% des Français étaient baptisés, aujourd’hui seuls 59% des 18-24 ans le sont. Seuls 44% des Français croient en Dieu. Ils ne sont que 36% chez les 18-24 ans.
Bien entendu Dieu n’est pas mort aux yeux de tous mais la proportion des personnes ayant la foi ne cesse de baisser. Donc de moins en moins d’humains se reposent sur la religion pour donner du sens à leur vie.
La science n'est pas non plus un recours
Ces derniers ne peuvent pas non plus se tourner vers la science pour trouver des réponses définitives aux grandes questions métaphysiques telles que « pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? ». En effet, malgré des progrès indéniables dans la compréhension de la longue chaîne de causalité, il arrive toujours un moment où la raison se perd dans les sables. On ne peut pas tout expliquer et on n’expliquera jamais tout. De toutes les façons, même si nous parvenions à expliquer le pourquoi des choses, cela ne permettrait pas d’expliciter leur raison d’être, leur pour quoi, leur sens. Et justement l’absurde n’est pas lié à une absence de causes mais plutôt à un problème de finalité. Alors nous nous observons enfermés dans des phénomènes cycliques, celui des révolutions des planètes, celui des jours qui succèdent aux jours, celui des saisons succédant aux saisons, celui des générations succédant aux générations. La vie des hommes semble livrée au hasard, les phénomènes semblent totalement contingents. Il est vertigineux de penser que les choix d’un conjoint, d’un métier, d’amis, … sont extrêmement aléatoires, que notre vie aurait pu être très différente, qu’elle se joue souvent sur des détails. Nous n’avons qu’une vie, et toutes les autres existences que nous aurions pu mener resteront un mystère à jamais.
L’homme est donc dans une impasse, dans l’absurde. Pourquoi s’agiter sur cette terre s’il n’existe aucun but à atteindre, aucune finalité supérieure ?
BERNANOS: "Je n’ai rien fait de passable en ce monde qui ne m’ait d’abord paru inutile, jusqu’au ridicule, jusqu’au dégoût. Le démon de mon cœur s’appelle à quoi bon"
Autant en finir tout de suite
CAMUS: "Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux, c’est le suicide"
Et pourtant …une vie sans Dieu peut rester porteuse de sens
Étudions les voies possibles.
L'humanité progresse
On peut tout d’abord adhérer aux thèses de Hegel et de Kant. Selon eux la nature a une finalité, celle d’un progrès inéluctable, celle de l’amélioration de l’humanité. Pour Hegel l’histoire a un sens, elle verra l’universalisation de la raison. Pour Kant un droit global sera institué, le cosmopolitisme triomphera. Kant imagine la création d’une Société des Nations qui permettra de résoudre les conflits inter étatiques par le dialogue. C’est un fait, ces thèses font toujours sens aujourd’hui. En effet de nombreuses institutions mondiales ont été créées et il semble bien que l’humanité progresse vers plus de démocratie sur un plan politique et donc vers plus de liberté des individus, vers une mondialisation des échanges sur un plan économique. Or, ces thèses progressistes sont porteuses de sens, chaque homme pouvant développer le sentiment qu’il joue un rôle dans cette évolution, qu’il est un rouage nécessaire. Certes, d’aucuns rétorqueront que ces théories Hégélienne et Kantienne se sont écroulées tout au long du XXème siècle avec ses deux guerres mondiales, ses génocides, ses révolutions meurtrières, … Mais Hegel répondrait que l’évolution vers le progrès n’est pas linéaire, la raison use de ruses : les pires malheurs peuvent engendrer les plus grands progrès. Et en effet l’ONU, l’UNESCO, la banque mondiale, le FMI, la cour pénale internationale, … ont été créés pour donner suite au constat de dysfonctionnements majeurs du monde.
Pour chacun d’entre nous tout se passe donc comme si nous regardions un tableau impressionniste de trop près. Nous ne verrions que des touches de peinture procurant une sensation de chaos. Mais l’éloignement par rapport à la toile permet de découvrir tout le sens de l’œuvre. Il en est de même avec l’histoire selon Hegel. Les évènements, pris individuellement, semblent chaotiques. Mais, considérés dans leur ensemble et avec du recul, on en comprend la cohérence.
Savants et bâtisseurs
Dans la même ligne on peut évoquer un deuxième moyen de donner du sens à la vie. Il s’agit de lutter contre la finitude en laissant une trace dans la mémoire collective, l’esprit des générations suivantes, dans les livres d’histoire, les musées, internet, … La réalisation d’actions d’exception, la création d’œuvres remarquables, les découvertes scientifiques sont autant de moyens de voir son nom inscrit au panthéon de l’histoire. Il s’agit de rompre le caractère cyclique de la vie par ces actions qui traverseront les âges. Cela a toujours existé, on peut par exemple faire référence aux héros grecs, comme Achille, qui n’hésitaient pas à sacrifier leur vie pour acquérir l’immortalité, la gloire éternelle, au travers d’actions d’éclat sur les champs de bataille.
Mais combien d’humains réussissent à laisser une trace dans l’histoire ? leur nombre est insignifiant.
Utilité ordinaire
Pour tous les autres hommes la solution peut résider dans la prise de conscience d’un sentiment d’utilité ordinaire. Il s’agit d’apporter sa pierre à la société en jouant un rôle qui peut paraître banal et insignifiant en première instance mais dont l’utilité globale est évidente. Cela passe le plus souvent par l’exercice d’une profession. Les paysans, artisans, industriels, personnels de santé, éducateurs, forces de l’ordre, commerçants, … constituent un maillon de la chaîne qui rend possible la vie et l’essor d’une société tout entière. L’épisode COVID a d’ailleurs mis en exergue l’importance de métiers généralement jugés ordinaires tels que ceux d’infirmières ou de caissières de supermarché. Donc l’exercice d’un métier est pourvoyeur de sens. C’est d’autant plus vrai si le métier en question a une valeur aux yeux de ceux qui les pratiquent. A l’inverse les bullshit jobs, les emplois qui vont à l’encontre des valeurs en vigueur dans une société (ceux qui polluent, ceux qui affectent la santé des consommateurs, ceux à la limite de la légalité, …) sont naturellement peu porteurs de sens.
De sa naissance à sa mort l’homme parcourt un cercle qui le ramène au point de départ, celui de la non-existence. Mais ceci ne signifie pas que sa vie a été inutile, car entre temps l’homme a parcouru un chemin qui lui a permis de contribuer à l’histoire.
La perpétuation de l’espèce humaine
Une autre voie pouvant être explorée pour donner du sens à la vie est celle des efforts à réaliser pour perpétuer l’espèce humaine. Cela passe par une lutte individuelle et collective contre les éléments qui la menacent :
Tout d’abord l’homme possède les moyens de sa propre destruction au travers de l’arme nucléaire.
D’autre part la surconsommation des ressources terrestres, bien au-delà de ce que la nature peut régénérer, pourrait parfaitement aboutir à un effondrement généralisé.
Enfin le dérèglement climatique provoqué par les activités humaines pourrait nous mener à l’extinction de l’espèce en seulement quelques siècles.
A ce propos il est possible de donner un sens à la mort en la considérant comme une condition essentielle à la pérennisation de l’espèce. La surpopulation humaine en ce XXIème siècle constitue déjà un problème alors que l’espérance de vie dans les pays développés est de l’ordre de 80 à 85 ans. Si cette espérance devait exploser avec le transhumanisme, la vie deviendrait rapidement impossible puisque la terre ne pourrait vraiment plus subvenir aux besoins humains. Ajoutons à cela que le monde, principalement constitué de personnes âgées, s’avèrerait figé, sclérosé et fort peu capable de s’adapter aux exigences de la continuation de la vie (production de biens, de services, …). La mort est utile à la vie, c’est un élément de la vie. La mort ne doit plus être vue comme une absurdité.
La mort ne doit pas nous faire peur
Ajoutons d’ailleurs que deux philosophies grecques, l’Épicurisme et le Stoïcisme, nous permettent de combattre l’angoisse que nous ressentons face à la mort.
Épicure a écrit la fameuse phrase « La mort n’est rien pour nous » car, selon lui, nous ne rencontrons jamais la mort. Pourquoi ? Épicure était un pur matérialiste ce qui signifie que tout est sensation, tout est atome et rien ne survit à la mort, même l’esprit. Il n’existe pas d’arrière-monde, de paradis, vers lequel l’âme s’envole au moment où nous quittons cette terre. La conséquence est immédiate : la mort physique implique la fin des sensations ce qui signifie que nous n’avons pas conscience de notre mort lorsqu’elle nous a déjà affecté donc nous n’en souffrons pas. De la même façon, lorsque nous sommes encore vivants, la mort n’est pas présente, elle ne génère donc pas d’expérience sensorielle en nous, donc nous n’en souffrons pas, d’autant plus et c’est heureux, que nous ne connaissons pas la date à laquelle nous mourrons. Bien entendu on voit émerger ici un problème de taille : que faire du cas où, affecté par une maladie potentiellement létale (telle qu’un cancer), nous prenons conscience que notre mort pourrait advenir dans quelques semaines, mois ou années. Une connaissance plus précise de la date de notre mort génère de l’angoisse. La souffrance psychologique vient s’ajouter à la souffrance physique. Toutes les attitudes face à de tels cas existent : certains s’effondreront, d’autres continueront à croire en leur bonne étoile jusqu’à la dernière seconde, d’autres encore alterneront phases de déni, de révolte, d’acceptation, … Il faut bien se garder de juger ces différentes postures. Mais avoir pratiqué la philosophie sur ce thème peut sans doute aider. « Philosopher, c’est apprendre à mourir » disait Montaigne. C’est tenter de se libérer de ses émotions, c’est progresser vers plus de sagesse, c’est accepter la mort.
On rejoint ici la position des Stoïciens qui nous enseignent que nous ne devrions pas nous laisser affecter par ce qui ne dépend pas de nous. Or nous pouvons considérer que nous n’avons aucun pouvoir sur la mort. Nous ne pouvons pas l’éviter, nous ne pouvons pas savoir à quelle date et dans quelles circonstances elle nous frappera. Dans ces conditions ne nous en préoccupons pas, ne nous révoltons pas, car contester l’inévitable ne peut que nous rendre malheureux. Travaillons au contraire sur ce qui est en notre pouvoir, à savoir nos émotions. Apprenons à mieux contrôler la peur, la colère, le ressentiment … pour mieux vivre avant la mort et mieux vivre notre mort.
Le caractère singulier de la vie est en fait un atout
Nous avons vu qu’une des raisons pour laquelle la vie peut être considérée absurde réside dans le fait qu’elle est contingente et fruit du hasard. Mais on peut rétorquer que ce qui fait la beauté et l’intérêt de la vie est justement son caractère singulier. C’est parce que notre vie est éphémère et qu’elle peut à chaque instant basculer dans une tout autre voie que notre existence devient immensément intéressante. Elle nous commande d’exercer dans l’urgence notre liberté d’homme pour définir ce que nous souhaitons devenir puis agir en conséquence. Si nous pouvions vivre plusieurs vies nous pourrions aisément nous accomoder de mauvais choix et d’erreurs. Au contraire, c’est parce que le temps nous est compté et que le destin semble vouloir nous enfermer que nous devons utiliser notre raison et notre énergie à la construction d’une vie bonne.
La recherche du bonheur, voilà la solution ultime
Se pose alors la question de savoir ce que peut être une vie bonne pour les mortels. Il n’existe pas de réponse universelle puisque les êtres humains sont différents les uns des autres. Nous n’avons pas les mêmes valeurs et les mêmes aspirations. Il n’en reste pas moins qu’il existe une préoccupation universelle chez tous les êtres humains : la recherche du bonheur.
PASCAL: "Tous les hommes recherchent d’être heureux. Cela est sans exception, quelques différents moyens qu’ils y emploient. Ils tendent tous à ce but. Ce qui fait que les uns vont à la guerre et que les autres n’y vont pas est ce même désir qui est dans tous les deux, accompagné de différentes vues. La volonté ne fait jamais la moindre démarche que vers cet objet. C’est le motif de toutes les actions de tous les hommes. Jusqu’à ceux qui vont se pendre"
Pascal nous permet de construire la meilleure des conclusions à notre interrogation. En recherchant le bonheur nous donnons un sens à la vie. La certitude de la mort, les souffrances que nous endurons parfois, constituent des raisons supplémentaires d’apprécier encore plus les phases de bonheur, les joies qui nous sont offertes. Disons oui à la vie, tirons-en la substantifique moelle.
CAMUS: "Il n’est pas possible de penser l’absurde sans avoir envie d’écrire un traité du bonheur"
GIDE: "Une pas assez constante pensée de la mort ne donne pas assez de prix au plus petit instant de ta vie "
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